La sortie de crise provoque le retour de l’inflation

La sortie de crise provoque le retour de l’inflation

(Source du graphique : Insee, Note de conjoncture, 14 décembre 2021)

Depuis le printemps 2021, la reprise économique est plus rapide que prévue et mondiale : Chine, Etats-Unis, Europe repartent en même temps sous le double effet de l’atténuation de la crise sanitaire (due à la vaccination) et des plans massifs de relance (USA, Union Européenne…) décrits dans l’article précédent du 12 avril 2021. Un double choc d’offre et de demande, à la hausse cette fois, provoque une situation « classique » de surchauffe : forte reprise avec tensions inflationnistes. Partout, le retour de l’inflation (c’est-à-dire la hausse du niveau général des prix) a surpris, même si elle reste encore limitée (entre + 2 et + 5 % selon les pays) et si nous l’évoquions déjà dans l’article précédent. Des craintes apparaissent sur la garantie du pouvoir d’achat des ménages, obligeant les Pouvoirs Publics à réagir, mais aussi sur la reprise qui pourrait être freinée. Pourquoi ce retour de l’inflation ?  Faut-il craindre ce retour ?

I) Rappel du cycle et de la surchauffe

Le cycle économique et la surchauffe :

L’expansion se traduit par une forte croissance économique. Inversement la récession se caractérise par un fléchissement de la croissance (elle devient faible, voire nulle).

La surchauffe apparaît en haut du cycle, lorsque l’expansion est forte et générale. Cette situation génère des tensions inflationnistes (les prix augmentent), soit parce que la demande est trop forte par rapport à l’offre du moment, et/ou soit parce que les coûts de production augmentent (matières premières, main d’œuvre qualifiée) (voir II B).

1I) le retour de l’inflation : le constat statistique

La hausse des prix en France,  en Europe et aux USA

A) En France, selon l’Insee, la hausse des prix sur les 12 derniers mois a été de + 2.2 % en septembre, + 2.6 % en octobre et + 2.8 % en novembre 2021 (+ 0,4 % sur le mois de novembre).

(Source : informations rapides, 15 décembre 2021)

(Informations Rapides · 29 octobre 2021 · n° 283)

Note : il s’agit de glissement sur 12 mois, or la base de référence correspond à une période d’inflation nulle (- 0.3 % en novembre 2021).

(Source : Agnès Benassy-Quéré, tribune dans le journal Le Monde 7-8 novembre 2021)

(Insee, Note de conjoncture, 14 décembre 2021)

B) En zone- euro, sur 12 mois, le taux d’inflation harmonisé estimé en novembre 2021 est de + 4.9 % contre + 4,1 % en octobre 2021 et + 3,4 % en septembre. Cependant, hors énergie, l’inflation n’est que de + 2.5 %.

(Source Le Monde, jeudi 2 décembre 2021 p 23, Ces déséquilibres qui fragilisent la reprise en zone euro)

L’énergie est la principale cause de l’inflation (+ 27 % en 1 an). C’est le poste qui augmente le plus fortement et qui pèse sur l’indice des prix.

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Le taux d’inflation augmente régulièrement ces derniers mois, et accélère en octobre-novembre  (tableau ci-dessous, Eurostat).

Les Pays- Baltes, le Benelux, l’Espagne, l’Irlande, l’Allemagne (+ 6 %) sont les plus touchés.

Rappelons que la « cible » de l’inflation pour la BCE est de + 2 %. sur 1 an. En octobre, elle est dépassée dans la plupart des pays de la zone euro.

Aux USA, la hausse des prix atteignait + 6,8 % en novembre 2021 contre + 6,2 % en octobre, + 5,4 % en septembre  et + 5,3 % en août.

Par contre, en France, l’inflation reste plus contenue (+ 3.4 % en novembre selon le taux harmonisé d’Eurostat, mais + 2.8 % selon l’Insee) en raison du poids de l’énergie nucléaire, dont le prix n’augmente pas comme celui des énergies fossiles (pétrole, gaz).

(Eurostat, 30 novembre 2021)

IPCH : indice des prix à la consommation harmonisé pour la zone euro (la principale différence entre l’IPCH et l’IPC porte sur les dépenses de santé : l’IPCH suit des prix nets des remboursements de la sécurité sociale tandis que l’IPC de l’Insee suit des prix bruts).

Note : Au Royaume-Uni (hors UE), le taux d’inflation était de + 3,2 % en août 2021 (un record depuis 2012), de + 5,1 % en novembre 2021 .

III) Pour quelles raisons théoriques l’inflation revient-elle?  

Tout d’abord, il faut rappeler ici les principes généraux de la loi de l’offre et de la demande sur tout marché :

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Demande > offre = > prix augmentent

Demande < offre (donc offre > demande) => prix baissent

La hausse des prix permet d’autoréguler le marché. En effet, elle sert de signal pour les consommateurs et pour les producteurs :

les consommateurs réduisent leur demande potentielle,

les producteurs, motivés par de meilleures perspectives de gain, accroissent l’offre (mais cela peut nécessiter un peu de temps : recrutement de main d’ oeuvre, investissements).

Au final, la demande baisse et l’offre augmente donc le marché retrouve l’équilibre.

Il peut y avoir des causes inflationnistes du côté de la demande (causes monétaires notamment) et du côté des coûts de production.

A) Une inflation par la demande globale

Note: demande globale = consommation + investissement + exportations + variation des stocks.

Offre globale = PIB + importations.

1) Une demande supérieure à l’offre.

En période de surchauffe (forte demande, investissements élevés, forte croissance de la production) la loi de l’offre et de la demande va s’appliquer sur tous les marchés en même temps : marché des matières premières, marché du travail, marché des biens d’équipement, marché des produits semi-finis, marché des biens de consommation, marché des capitaux…

Dans le cas de la reprise de 2021, l’économie des différents grands pays repart en même temps, alors que partout les entreprises avaient été arrêtées par les différents gouvernements au même moment en 2020 (confinements). Cela provoque donc en même temps un afflux de commandes (la demande repart) alors que la production est insuffisante pour répondre à ce surplus de commandes au niveau mondial. D’où la nécessité d’augmenter la production (l’offre).

Cela crée inévitablement des tensions sur l’appareil de production, des goulets d’étranglement : manque de matières premières (pétrole, gaz, bois, papier…), manque de main d’œuvre qualifiée, manque de produits semi-finis, saturation des ports, retard dans les transports…La pénurie de bois illustre bien la reprise du secteur du bâtiment et de la construction aux USA et en Europe. De même la pénurie de micro processeurs (puces électroniques) paralyse le redémarrage de l’industrie automobile mondiale. Des centaines de milliers d’automobiles ne sont pas produites ou pas terminées.

La surchauffe se traduit en effet en 2021 par un taux d’utilisation des capacités de production déjà élevé alors que les carnets de commandes des entreprises sont élevés (graphiques, ci-dessous,Banque de France).

(Source : Banque de France, point sur la conjoncture, 8 novembre 2021)

(Source : Banque de France, point sur la conjoncture, 8 novembre 2021)

(Source : Banque de France, point sur la conjoncture, 8 novembre 2021)

2) une demande accrue pouvant être alimentée par création monétaire

Toutes les mesures prises par les gouvernements (différents plans de relance aux montants colossaux) et par les banques centrales (politique monétaire non conventionnelle) visent à injecter des moyens de paiement supplémentaires (mpsi) dans le circuit économique pour stimuler la demande, mais le plus souvent sans contrepartie immédiate et réelle de production (schéma 2 ci-dessous). D’où un déséquilibre macroéconomique (demande globale > offre globale) qui provoque une hausse des prix et donc de l’inflation.

Cette crainte de pressions inflationnistes est justifiée d’autant que beaucoup de pays relancent au même moment pour sortir leur économie de la crise. Elle est manifeste aux Etats-Unis devant l’ampleur du Plan de Relance du 10 mars 2021 (1900 milliards de dollars) alors que l’économie US connaissait déjà un rebond depuis le début de la campagne de vaccination massive.

En France et en zone euro, la demande globale augmente sous l’effet des plans de relance des différents pays (France : 100 milliards d’euros, puis 30 nouveaux milliards à venir) et aussi de l’UE (750 milliards d’euros). Mais ces plans de relance sont souvent financés par des emprunts contractés à l’extérieur ce qui provoque une augmentation de la masse monétaire nationale de facto, même si les fonds sont réinjectés dans l’économie de façon progressive (pour le détail des plans, voir article précédent du 12 avril 2021 sur ce blog).

Il peut en être de même avec la politique monétaire de la BCE (rachats d’actifs ou Quantitative Easing à des niveaux très élevés, environ 2000 milliards d’euros à ce jour) pouvant aussi accroître la demande globale. En effet, la masse monétaire en zone euro pourrait augmenter temporairement sous l’effet de cette création monétaire contre des titres rachetés par la BCE aux banques commerciales, mais n’arrivant à échéance que quelques années plus tard en fonction de leur maturité (donc cette monnaie créée ne sera « détruite » que plus tard). Cependant, il faut pour cela que cette monnaie créée (ou « base monétaire  qui augmente ») soit réinjectée dans le circuit économique par les banques auprès de leurs clients (la masse monétaire augmente), ce qui n’est pas toujours le cas (article du 29 mars 2016 sur ce blog).

Schématisons ce possible déséquilibre macro économique sur courte période (schéma 2) en partant de la situation de l’équilibre global (schéma 1)

Note préalable : pour simplifier la démonstration, d’un point de vue pédagogique, nous partons de la production pour aller vers les revenus puis la dépense ce qui est une optique « classique » [et non des besoins vers la demande puis la production à réaliser (optique plus « keynésienne »)]. Mais une optique « keynésienne » supposerait de toute façon une création de monnaie par les banques au départ (donc un déséquilibre initial temporaire) pour permettre au circuit de fonctionner, sinon comment les entreprises pourraient-elles payer les « premiers » salaires avant d’avoir vendu toute leur production ? On retrouve donc le même problème d’excès temporaire de demande par rapport à l’offre, y compris pour une mesure de politique monétaire comme celle exposée ici.

Schéma 1 : l’équilibre macro économique « ressources-emplois » ou « offre globale = demande globale ».

C’est-à-dire :

PIB + importations = consommation + investissement + variation des stocks + exportations

Les grands équilibres macro économiques « ressources –emplois »

Schéma 2 : dans une optique « ressources-emplois », le déséquilibre immédiat et temporaire provoqué par l’injection de moyens de paiement supplémentaires (mpsi en jaune sur le schéma) soit par l’Etat (financement par déficit budgétaire et emprunt à l’étranger), soit par la BCE (création de monnaie).

(jseco22 le 1er décembre 2021)

(mpsi : moyens de paiement supplémentaires injectés)

Sur ce schéma où les ressources précèdent leur utilisation, les emplois), on voit que l’injection de moyens de paiement supplémentaires (mpsi en jaune) provoque immédiatement un déséquilibre : la demande globale augmente d’autant, alors que l’offre initiale et donc le revenu national primaire initialement créé par la production précédente, n’augmentent pas.

Il faudra donc rétablir l’équilibre en 2 temps :

– immédiatement, risque d’inflation (demande > offre) et/ou risque d’accroissement des importations et déficit commercial,

– au bout de quelques temps, l’augmentation de la production permettra un réajustement s’il y a des capacités de production inutilisées,

– mais il pourrait être nécessaire d’investir et d’embaucher (voire former cette nouvelle main d’œuvre) pour accroître la production, ce qui retarderait encore un peu l’ajustement de l’offre à la demande.

B) Inflation par « les coûts » :

Plusieurs éléments peuvent jouer et créer des tensions sur les prix :

1) L’inflation « importée » par le coût des matières premières.

Comme nous l’avons précisé plus avant, le climat de surchauffe accroît la demande de matières premières et de certains produits semi-finis (cas de l’informatique, exemple actuel des microprocesseurs dont la pénurie paralyse l’industrie automobile) ce qui peut créer des tensions et augmenter les prix de ces produits de base. Or ces produits de base sont souvent importés, comme le pétrole. C’est l’inflation « importée ». De plus, le coût des transports peut lui aussi augmenter, puisque le coût des carburants et les délais de livraison augmentent.

Cette inflation importée par les produits de base se traduit concrètement sous forme de coûts de production supplémentaires pour les entreprises. Celles-ci sont alors contraintes d’augmenter le prix de leurs produits finis, et donc d’entretenir l’inflation, à moins d’accepter de diminuer leur marge bénéficiaire à cause de la pression exercée par la concurrence. Le graphique suivant montre bien la corrélation.

(Insee, Note de conjoncture, 14 décembre 2021)

Ainsi, la montée actuelle des cours du gaz et du pétrole peut s’expliquer en partie par l’espoir de reprise suscité au niveau mondial à la fin du printemps 2021, notamment à cause des plans de relance massifs et simultanés, comme celui des USA. De plus, les stocks étaient au plus bas en 2020 à cause de la chute du PIB et ils doivent maintenant être reconstitués à l’approche de l’hiver.

Cours du baril de pétrole Brent en dollars

Entre fin août et fin octobre 2021, le cours du baril (159 litres) est passé de 64 dollars à 86 dollars, soit une augmentation de  34 %. (mais il a perdu 19 % de fin octobre à fin novembre).

(Site : prix du baril.com)

Le cours du pétrole influence beaucoup l’indice des prix car ce produit sert non seulement de carburant, de moyen de chauffage mais il entre aussi dans la composition de nombreux produits industriels (plastiques…).

2) De même, la surchauffe peut conduire à une pression sur les embauches (recherche de salariés compétents) et à une hausse des salaires ou à un surcroît d’heures supplémentaires. Ainsi beaucoup d’entreprises ont actuellement du mal à recruter, notamment dans les secteurs « en tension » (hôtellerie, restauration, services aux personnes, santé…). Des hausses de salaires, surtout pour les bas salaires, pourraient faciliter les embauches en incitant les chômeurs à reprendre un travail (théorie classique du chômage « volontaire » et du fonctionnement du marché du travail). Mais les coûts de production risquent d’augmenter à nouveau, ce qui entretiendrait l’inflation (par les coûts).

(Source : Banque de France, point sur la conjoncture, 8 novembre 2021)

Cependant, il faudrait éviter au niveau national une indexation généralisée des salaires (d’ailleurs rendue « illégale » en 1983), car elle créerait une dangereuse spirale prix-salaires, de laquelle il serait difficile de sortir à moins d’accepter la chute des profits des entreprises (sauf si elle compromet l’autofinancement des investissements) ou de réaliser des gains de productivité équivalents.

La spirale inflationniste est la « course prix-salaires » :

Prix augmentent => pouvoir d’achat des ménages baisse => salaires augmentent => coûts de production augmentent (sauf si profits baissent ou si productivité augmente d’autant) => prix augmentent => salaires augmentent => etc.

C) l’inflation par les structures :

A plus longue échéance, les tentatives de relocalisation industrielles et de développement de l’agriculture bio vont conduire à une hausse des coûts de production et donc des prix à moyen terme, puisqu le niveau des salaires bruts est supérieur en France par rapport à celui de beaucoup de pays étrangers d’où nous importions des marchandises.

De même, l’insuffisance de concurrence dans certains secteurs peut conduire à la hausse des prix.

Au total, l’inflation est revenue globalement un peu au-dessus de + 2 %/an, qui est l’objectif fixé dans les statuts de la BCE (pour éviter le risque de déflation). Il n’y aurait donc pas urgence pour le moment, au sens où nous sommes très loin des taux d’inflation à deux chiffres connus par le passé ((fin des années 70, début des années 80)). D’ailleurs, le retour de la pandémie fin novembre (5 ème vague, nouveau variant « omicron » a fait baisser le cours du baril de pétrole de 20 % en un mois (graphique ci-dessus). Cependant, si l’inflation par excès de demande et par les coûts sera probablement maîtrisée une fois les goulets d’étranglement résorbés dans une période assez courte (autour d’1 an ?), l’inflation par les structures risque d’être plus durable.

IV) Pourquoi l’inflation serait-elle dangereuse ?

A) pour les ménages :

 Le lien avec le pouvoir d’achat.

Si la hausse des prix est supérieure à la hausse du revenu disponible brut, le pouvoir d’achat des ménages diminue.

L’inflation touche immédiatement tous les ménages puisque dans un pays, quand les prix augmentent, c’est pour tout le monde (contrairement au chômage). L’inflation a donc pour conséquence immédiate de baisser le pouvoir d’achat, sauf si les revenus sont indexés (en France pour le Smic) mais il y a toujours un décalage de quelques mois. L’inflation, si elle n’est pas maîtrisée,  peut créer un processus cumulatif à la hausse : la hausse entraîne la hausse. En effet la hausse des prix entraîne la hausse des salaires qui entraîne celle des coûts de production qui à son tour se répercute sur la hausse des prix. C’est la spirale inflationniste.

1) Définition et mesure du pouvoir d’achat

Rapport :

revenu disponible brut / indice des prix à la consommation de l’Insee

Le revenu disponible brut des ménages est le total des revenus primaires bruts (salaires, bénéfices des entrepreneurs individuels, revenus de la propriété) – prélèvements obligatoires (impôts et taxes) + revenus sociaux.

L’indice des prix à la consommation de l’Insee (IPC) mesure chaque mois la hausse des prix de la consommation type des ménages selon un panier moyen de biens et services (environ 200 000 relevés de prix dans 30 000 points de vente de toute taille, et autant de tarifs). Le panier reflète parfaitement la structure type (ou répartition en %) des dépenses de consommation des ménages. Elle est révisée chaque année.

(Banque de France, ABC de l’économie, janvier 2020)

On peut observer le revenu moyen des ménages ou le revenu par unité de consommation (en tenant compte de la taille des ménages : 1er adulte = 1 ; 2ème adulte et jeune de 14 ans ou plus : 0,5 ; enfant de – 14 ans = 0,3).

Les dernières études de l’Insee montre que le pouvoir d’achat des ménages a augmenté en moyenne et par unité de consommation (graphiques ci-dessous).

Pouvoir d’achat du revenu disponible brut et par unité de consommation

(Insee, note de conjoncture, 14 décembre 2021)

L’inflation spolie aussi les épargnants si leurs revenus (intérêts) augmentent moins vite ou en retard par rapport à la hausse des prix. Mais à l’inverse, l’inflation allège la dette des débiteurs, c’est le point positif, si les revenus sont indexés. En effet, la part des remboursements mensuels d’emprunts contractés auparavant à des taux moindres, a tendance à décroître (voir ci-dessous, IV c).

Cependant, le ressenti des ménages est différent sur la question du pouvoir d’achat.

2) un problème de ressenti : la perception d’un pouvoir d’achat en baisse.

Il y a presque autant d’indices des prix que de ménages. Chacun a son propre ressenti en fonction de son revenu. Or le poids des dépenses contraintes ou pré engagées (loyer, charges, chauffage, électricité, assurances, transports, abonnements…) est plus fort pour les bas revenus que pour les revenus élevés. C’est ce que confirme une étude de France Stratégie parue en août 2021 (ci-dessous). Le « reste à vivre » est donc plus faible pour les revenus, d’autant que ce sont ces postes qui augmente le plus (gaz, électricité, loyer). D’où le sentiment de « ne pas y arriver », de fins de mois difficiles et de choix donc de privations à effectuer (alimentation, habillement, loisirs…).

(Source : France Stratégie, août 2021)

B) pour les entreprises :

L’inflation alourdit les coûts de production. La hausse des prix dans un pays, si elle est supérieure à celle des pays voisins ou des pays concurrents, réduit la compétitivité des entreprises nationales. De fait, les importations vont s’accroître (si les produits étrangers identiques sont moins chers) et les entreprises nationales vont perdre des parts de marché, y compris à l’extérieur. Le déficit commercial augmenterait. A terme, la croissance de la production nationale risque d’être ralentie. Des entreprises seraient en difficulté, pourraient supprimer des emplois et le chômage augmenterait.

Au total, l’inflation va finir par affaiblir la croissance économique et créer du chômage.

L’ Etat et la BCE vont devoir engager une politique de lutte contre l’inflation qui va « casser » la croissance (voir V). (Revoir l’article du 27 novembre 2013)

C) Cependant, « un peu » d’inflation peut être parfois utile.

(article du 19 décembre 2017 sur ce blog)

 « Un peu » d’inflation n’est pas nécessairement néfaste. C’est ce que pense probablement la BCE en ayant adopté une cible autour de 2 %.

Des arguments en faveur d’un peu d’inflation :

1) L’inflation allège la dette. En effet, lorsqu’un ménage ou une entreprise emprunte à une banque à un taux d’intérêt fixe, il rembourse toujours la même somme mensuelle à sa banque pendant toute la durée du prêt. Or en période d’inflation, son salaire ou son revenu va probablement augmenter. Il suit plus ou moins l’inflation (indexation). Donc la somme à rembourser mensuellement, fixe, représente une part de plus en plus faible du revenu nominal au fil des mois et des ans. On dit que l’inflation allège la dette.

Prenons un exemple concret :

Remboursement mensuel = 300 € sur 5 ans.

Revenu mensuel, année t1 (à la date de l’emprunt bancaire) = 2500 €

Inflation = + 5%/an

Part du remboursement dans le revenu nominal chaque année avec l’hypothèse d’une indexation totale :

T1 : 300/2500 x 100 = 12 %

T2 : 300/2625 x 100 = 11.42 %

T3 : 300/2756 x 100 = 10.88 %

T4 : 300/2894 x 100 = 10.36 %

T5 : 300/3038 x 100 = 9.87 %

La part du remboursement mensuel est tombée de 12% à 9.87% en 5 ans, soit – 2.13 points ou – 17.75 %.

Plus l’inflation est forte, plus elle allège la dette. L’Etat français, très endetté (2762 milliards d’euros soit 115 % du PIB en fin juin 2021, selon l’Insee « Infos Rapides » du 24 09 2021) aurait bien besoin d’un peu d’inflation pour alléger ce fardeau.

2) Un peu d’inflation signifie que la demande globale (consommation + investissement + exportations) est un peu supérieure à l’offre globale (PIB + importations). C’est donc le signe d’une économie en phase d’expansion, donc de croissance soutenue. C’est le « signe d’une économie en bonne santé où les salaires augmentent suffisamment vite pour alimenter la consommation, mais sans générer de surchauffe économique dommageable pour les prix » (Le Monde du 31 août 2017 p 4, Le Monde Economie du samedi 9 septembre 2017 p 5 et du lundi 11 septembre 2017, articles signés Marie Charrel).

Cependant, les salariés peuvent être également victimes de l’illusion monétaire. Si les prix augmentent, et si les salaires sont réajustés (indexation plus ou moins compensée), le bulletin de salaire montre un revenu nominal (revenu en euros) plus élevé, d’où la croyance dans une augmentation de revenu, mais en fait le revenu réel, c’est-à-dire corrigé de la hausse des prix n’augmente pas (il n’y a donc pas de gain de pouvoir d’achat).

Par contre, les épargnants sont lésés, ils perdent du pouvoir d’achat si le taux d’intérêt de leurs placements n’est pas réajusté ou bien s’il l’est, mais avec un retard de quelques mois. C’est le phénomène inverse de la dette, expliqué plus haut.

Au total, l’inflation avantage les débiteurs et pénalise les rentiers.

V) Le risque pour l’économie nationale et la politique économique.

Si l’inflation repart et s’emballe (par la spirale prix-salaires), il faudra modifier la politique économique ce qui risque de freiner la reprise, d’accroître le chômage. L’Etat et la Banque Centrale Européenne vont devoir prendre des mesures pour lutter contre l’inflation.

A) En effet, l’Etat, conscient du danger pour l’économie nationale malgré l’allègement de sa dette,  peut décider d’un plan de lutte contre l’inflation. Des mesures budgétaires et fiscales vont consister diminuer les dépenses publiques et à accroître les impôts de façon à freiner la croissance de la demande globale (consommation, investissement).

Le tableau ci-dessous résume les politiques économiques budgétaires et fiscales et leurs effets pervers :

Pour sortir des effets néfastes (pertes de compétitivité et de parts de marché) de l’inflation sur l’économie, autrefois, une méthode consistait à dévaluer la monnaie nationale ou la laisser baisser sur les marchés des changes. C’était la dévaluation compétitive. Mais cette méthode est aujourd’hui impossible dans les pays de la zone euro, donc pour la France, puisque la monnaie de ces pays n’est plus une monnaie nationale. Par le passé, la France a eu souvent recours à la méthode de la dévaluation pour rétablir sa compétitivité (jusqu’en 1983).

Comme cette méthode de la dévaluation de la monnaie est impossible, il faut pouvoir restaurer la compétitivité d’une autre manière. C’est pourquoi, les gouvernements sont conduits à engager des politiques d’austérité, voire à inciter les entreprises à agir sur le niveau des prix en freinant la hausse des coûts de production, donc par exemple en recommandant de ne pas augmenter les salaires plus que la productivité.

B) La BCE va également intervenir pour modifier la politique monétaire. Elle va augmenter ses taux directeurs ce qui va mécaniquement conduire à une hausse des taux d’intérêt bancaires demandés aux clients. Le coût du crédit augmentera et freinera la consommation et l’investissement donc la reprise économique et la croissance (article du 29 mars 2016 sur ce blog).

De même la hausse des taux va se répercuter sur les marchés financiers internationaux et renchérir le coût des emprunts d’Etat. Les intérêts seront plus élevés donc le service annuel de la dette va s’alourdir. Il sera plus difficile d’emprunter pour financer le déficit budgétaire donc les dépenses publiques, d’où le risque pour les Pouvoirs Publics de devoir faire des choix et d’accroître l’austérité. Les taux peuvent aussi se tendre si les pays déjà endettés de la zone euro sont obligés d’emprunter sur les marchés (Italie, France, Espagne…) en l’absence d’accord de mutualisation des dettes. Ce serait le retour aux écarts de taux (spread) qui ont tant déstabilisé la zone euro dans les années 2010 (Grèce, Italie, Espagne…).

Les taux des emprunts obligataires à 10 ans (la référence) ont cessé d’être négatifs depuis le printemps 2021 et remontent doucement sur les marchés (graphique ci-dessous).

(Source : site OCDE, 17 décembre 2021)

A titre d’exemple, le Projet de Loi de Finances pour 2022 indique que l’Etat français aura un besoin de financement de 299 milliards d’euros, dont 155 milliards de déficit budgétaire et 144 milliards d’amortissement (au 24 novembre 2021). Pour le financer, l’Etat prévoit d’émettre pour 260 milliards d’euros d’obligations à moyen et long terme sur les marchés financiers. Les hypothèses retenues (taux et service de la dette) sont présentées ci-dessous :

(source : Projet de Loi de Finances 2022, 22 septembre 2021)

(même source)

Rappel : Service ou charge budgétaire de la dette française :

Montant des intérêts payés par l’Etat

2018 : 41,70 milliards d’euros

2019 : 40,26 milliards d’euros

2020 : 36,2 milliards d’euros

2021 : 37,1 (prévision loi de finances)

2022 : 39,5 (prévision loi de finances)

(Source : Agence France Trésor)

Au total, la demande globale va donc avoir tendance à augmenter moins vite par rapport à l’offre globale, ce qui va finir par freiner la hausse des prix. Mais la croissance économique sera fortement réduite, et le chômage pourra augmenter plus ou moins fortement (en fonction de la croissance de la population active).

Conclusion :

La sortie rapide de la crise de 2020 et la forte reprise, un peu inattendue, de l’activité en 2021 ont créé une période de surchauffe au niveau mondial. Cette surchauffe, en haut du cycle économique, a mécaniquement créé de l’inflation par un excès de demande globale face à des pénuries du côté de l’offre, ainsi qu’un alourdissement des coûts de production. Le retour d’un peu d’inflation n’est pas forcément une mauvaise nouvelle après avoir craint la déflation il y a encore peu de temps. La BCE fixe elle-même sa cible à + 2 % et les taux actuels en zone euro, même s’ils dépassent cette cible, sont encore très loin des taux à deux chiffres connus pendant les chocs pétroliers (+ 15 %). L’inflation pourrait peut-être diminuer dès 2022 avec la fin des goulets d’étranglements mondiaux. Cependant, si elle persistait, en particulier pour des raisons structurelles, il serait nécessaire de prendre des mesures budgétaires, fiscales et monétaires pour l’enrayer ce qui risquerait de freiner la reprise en France et en zone euro. Ces pays pourraient tomber en récession et le chômage augmenterait. Le pire serait alors de cumuler l’inflation et la récession (la stagflation) comme dans les années 1975-85, situation dont il est difficile de sortir à cause des objectifs contradictoires.

Jseco22, le 17 décembre 2021

Ancien professeur de sciences économiques et sociales, retraité

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